LES CONFESSIONS DE...
Sébastien Farran, directeur du BIG festival de Biarritz
LE CONTEXTE [Big village, mercredi après-midi, on croise Sébastien Farran pour la première fois. On se connaît de réputation, j'ai lu plein de trucs sur lui, genre personnage sulfureux de cet impitoyable show-biz, il a lu mon "Guide idéal" (paru chez Atlantica) dans lequel je le branche au chapitre "Parisiens" (p. 168). Extrait: "Quand on est Parisien, on n'est pas aimé, c'est comme ça" affirme non sans lucidité Sébastien Farran, manager néo-basque de Johnny Hallyday (...) et créateur du BIG de Biarritz événement "branché et trop parisien" selon les locaux". Farran s'était lâché dans "Tsugi" de l'été 2013. Je l'accoste face à la villa Belza et on discute dix bonnes minutes. Magnéto, Sergio. Photos de Franck Laharrague]
Séb Farran semble las. Fatigué, voire désabusé alors que le Big bat son plein. Ou presque. Après le carton de la Big boîte du lundi, 5000 personnes dans la halle d'Iraty et son déferlement d'injures sur Facebook, Farran encaisse le coup: "Qu'est-ce que tu veux, FB c'est le défouloir universel. C'est facile de critiquer, parce que tu fais la queue pour rentrer, parce que la bière est pas bonne, parce que le système de cash less n'est pas rôdé, etc, etc. T'as une cinquantaine de posts négatifs, sur 5000 festivaliers, des médias les reprennent et du coup, ça prend de l'ampleur (...) Ca fait sept ans qu'on est là, sept ans qu'on en prend plein la gueule. Ou plutôt que j'en prends plein la gueule."
Farran n'a pas la langue dans sa poche. Ce Parisien bon teint, qui a passé toutes ses vacances d'enfance sur la Côte basque (1) cristallise les critiques autour de cet événement qu'il a mis en place avec l'appui de la municipalité. Farran a le complexe du néo-Basque. Il ressent ce mal-être des Parigots qui n'arriveront jamais à se faire accepter des locaux. Malgré ses efforts, à l'instar d'un Frédéric Beigbeder, Farran est et restera "un Parisien en vacances" aux yeux des rares Euskaldun qui peuplent encore la Côte basque.
Sur la Côte basque, Farran et son Big circus doivent aussi se coltiner les sempiternelles guéguerres de clochers propres au BAB : l'Angloy préférera aller au marché nocturne des Sables d'or et le Bayonnais au marché médiéval plutôt que d'aller boire une sangria au Big village de la Côte des basques face à l'un des plus beaux sunsets de la terre. Les casetas, passe encore, le Big no way. "C'est comme ça, que veux-tu. Ce village, il est là, parce qu'il ne peut pas être ailleurs. Une installation comme ça c'est 150 000 euros la semaine, ça coûte un bras quand même..."
Impossible alors de l'installer en centre ville, à la Grande plage, encore moins au Bellevue ou sur la terrasse de l'Hôtel du Palais. Le BIG, ce qu'il veut si on a bien compris le truc, c'est ressembler à Calvi on the rocks, de la musique au bord de la plage. Sauf qu'en Corse, ô miracle, les Parisiens -encore plus branchés que ceux-là- ont réussi à se faire accepter de la population locale. Pas ici. Car oui non seulement les Angloys et Bayonnais squizzent le Big, sauf les vieux qui adulent Johnny ou les jeunes qui kiffent Feder, mais en plus les Biarrots aiment bien dénigrer leur festival de musique "qui vide la ville et ne leur rapporte pas de cash", en gros si on résume le sentiment général des professionnels de la station.
"Je dois avoir une tête qui leur revient pas, dit Farran. Alors qu'on essaye chaque année d'améliorer l'existant, d'un point de vue technique et opérationnel. On a mis en place un Big off, on a mis à tous les postes stratégiques des locaux, on a des centaines de bénévoles du coin qui s'investissent, donnent de leur temps, mais rien n'y fait." Farran est un type intelligent, il sait que c'est lui qui cristallise les rancoeurs et les inimitiés. Pourquoi? Le Big a la réputation de payer tardivement ses prestataires et ça les locaux n'aiment pas, logique. Mais tous les festivals ne payent pas rubis sur l'ongle. Beaucoup d'ailleurs ne paient plus du tout puisqu'ils ont été rayés de la carte. Le Big s'en mettrait plein les poches avec le liquide de la Big boîte (l'alcool y coulerait à flot, un peu comme dans toutes les fêtes de village du coin) et son staff partirait avec les bénéfices se la couler douce à Ibiza. On n'a pas vérifié. Sauf que cette année, le Big lance le cashless et ça fait flip flop le premier soir à la boîte, dommage pour eux.
Quoi encore ? Farran identifié à son ancien poulain JoeyStarr? Sans doute aussi, les deux lascars n'ont pas laissé que des bons souvenirs dans les restos et boîtes de Biarritz. En tout cas, Farran n'a pas vu le coup venir de son ex-protégé. Joey, dans sa prose légendaire et blindée de coquilles, l'a démonté grave sur Facebook dans un brûlot diffamatoire. Un coup très rude avant le démarrage du Big. Mortel, le coup? Farran soupire en relevant sa mèche dans le vent: "Ouais, pffff... Je l'ai assigné au tribunal, je ne pouvais pas laisser pas ça..." Il n'en dira pas plus.
Farran semble las, fatigué, voire désabusé. Surtout que ce mercredi là, il ne sait pas que le Big va virer au cauchemar. Le village n'attire que 2 à 300 spectateurs pour Soko, et un petit millier (on est gentil) pour la Big boîte. Un flop. J'avais mal au coeur pour Baptiste Dalleman qui a joué devant... 20 personnes. Au Bela gorri, son audience est dix fois supérieure ! "Tous les gros festivals ont plusieurs sites de concert, mais ici c'est plus compliqué c'est vrai. Et puis le bassin de population du Pays basque n'est pas immense. Surtout quand tu as plein de trucs en même temps ou un peu avant, ou après y compris gratuitement de l'autre côté (NDLR il veut sans doute parler de Jazzaldia mais ça fait belle lurette que San Sé se contrefiche de la programmation musicale de ce côté-ci de la Bidassoa)."
L'argument de la population en même temps tient la route, le Pays basque ne fait "que" 300 000 habitants, dont les 3/4 pour ne pas dire les 4/4 ne connaissaient pas les artistes proposés ce mercredi soir : Soko, qu'es aco?"On ne peut pas mettre des noms tous les soirs, ç'a un prix. Feder, Synapson, The Avener, Joris Delacroix, c'était un coup de les avoir le lundi, on fait une jauge de 5000, c'est énorme, on fait plus qu'aux arènes de Nîmes! Donc c'est la preuve que des vedettes attirent du monde sur la Côte basque..." (2)
Question finale: le Big a-t-il un avenir? Farran continuera-t-il à se prendre des coups de fouet à chaque fois qu'il revient dans sa région d'adoption où il possède une maison? Le type est-il maso? Passera-t-il la main pour que le Big s'enracine localement avec des chefs cuisiniers venus du Pays basque intérieur et non pas des quartiers branchouilles de la capitale ? Le futur le dira, surtout la municipalité de Biarritz et son adjoint Michel Poueyts qui a toujours soutenu Farran et son Big projet. La Ville de Biarritz est contente d'avoir un sujet de 2 minutes au 20 heures de TF1, une page dans "Voici", un reportage dans "Match". Et alors? Suffisant pour maintenir le Big grâce aux finances publiques ? Aux impôts des Biarrots qui ne vont pas au concert sauf les rockers jaunis tout heureux d'aller voir une dernière fois Johnny à Aguilera à défaut de revoir un jour un match de haut niveau de rugby? Le BO de Serge Blanco -autre personnage éminemment contesté- n'est plus là pour faire le beau sur les pelouses d'Europe et donc la pub de la destination à l'international. Reste donc ce Big tant décrié pour faire parler de la station au début de la saison. Stop ou encore ? Wait and see...
(1) Le manager musical Sébastien Farran est le fils de Dominique Farran, "excellent journaliste-animateur qui fit les beaux jours de RTL et organisa des concerts mémorables, et le petit-fils de Jean Farran, ancien directeur des programmes de RTL. Bref, le fiston a de qui tenir question programmation musicale !", estime le journaliste Alain Gardinier.
(2) Jeudi soir, le concert des Brigitte affichait complet.